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Ce texte de Paul MAZ est inspiré de son spectacle "Le Magicien de Papier". Il a reçu le prix 2013 de la nouvelle en 1000 mots  organisé au plan national par la Médiathèque Villa-Marie de Fréjus.

 

 

 

Comment Ambrogio Barbieri de Sienne est devenu le Père Quénot à Paris

 

On l’appelle le Père Quénot. Peut-être l’avez-vous aperçu dans la rue. Toujours vêtu d’un large manteau noir et d’un chapeau haut de forme il pousse un étrange engin qui déborde de cartons et de journaux, et qui avance en couinant comme la poulie d’un vieux puits. Le papier, c’est son monde. Son or. Il le traque et l’entasse dans cet objet roulant non identifié dont il est inséparable. Certes on reconnait bien la carcasse d’un chariot de superette, mais celle-ci a subie d’étonnantes transformations. Des sacs et des bidons en plastique et divers autres objets de récupération accumulés au fil du temps ont donné à ce drôle de char une allure de fiacre surréaliste. C’est surtout son auvent de toile escamotable qui sert à protéger son précieux chargement qui lui confère ce noble caractère. Un accessoire qui a dû faire partie d’une poussette d’enfant avant d’être détourné pour cette improbable utilisation. C’est sûr, si vous avez croisé la route du Père Quénot vous ne pouvez pas l’avoir oublié.

 

Le Père Quénot habite dans une arrière-cour dans le quartier de Montmartre à Paris. Il sillonne la capitale tous les jours d’Est en Ouest et du Nord au Sud, mais jamais de la même façon. Il vit en récupérant les vieux journaux qu’il revend à un centre de recyclage du papier tout près de la Porte de Saint Ouen juste de l’autre côté du boulevard périphérique. C’est un personnage que les enfants connaissent bien. Sa silhouette les fascine. Un chapeau haut de forme, plus personne n’en porte aujourd’hui. Et le sien à beau être défraîchi il lui donne tout de même une certaine allure. Une allure de magicien. D’ailleurs les enfants en sont persuadés : quelqu’un qui est capable de transformer des vieux papiers en papier tout neufs ne peut-être que « presque-digitateur ». Pourquoi pas ? Quand il est arrivé dans le quartier, il y a plus d’une trentaine d’années, il venait de Sienne en Italie et ne parlait pas un mot de français. Personne ne connaissait vraiment son nom,… ou ne faisait l’effort de le retenir. Certains pensaient avoir compris qu’il se prénommait Ambrogio ou Ambroginio ou quelque chose comme ça. Quand à son nom de famille on savait tout juste qu’il se terminait par « li » ou « ni » ou peut être « ri ». Un nom italien quoi !

 

Aujourd’hui, les parents qui l’on vu arriver d’Italie quand eux-mêmes allaient encore à l’école peuvent raconter à leurs enfants l’histoire du Père Quénot. Et même l’histoire de son nom. Car le plus incroyable c’est que ce sont eux qui ont rebaptisé le jeune homme de l’époque qui se nommait en réalité Ambrogio Barbieri en « Père Quénot ». Il était venu à Paris pour trouver du travail. C’est ainsi que les habitants du quartier, surtout les vieux, ont été amenés à lui proposer des menus travaux comme de sortir les poubelles, de repeindre leurs volets ou de les aider à débarrasser leur cave ou encore de faire leurs courses. Il leur fallait parler beaucoup avec leurs mains et mimer ce qu’ils voulaient pour arriver à se faire comprendre de celui qu’on appelait alors « l’Italien ». Il n’avait pas beaucoup d’expérience mais il était courageux et ne ménageait pas ses efforts pour gagner les quelques pièces qui lui permettaient de vivre. Et sans vraiment savoir ce qui l’attendait à chaque proposition de travail il répondait toujours d’un air entendu « Perqué no ? ». C’était quasiment le seul mot que les gens comprenaient. A peu près. En gros ça voulait dire qu’il était d’accord. Peindre ? Perqué no ? Déménager ? Perqué no ? Bref, pour donner un coup de main quel qu’il soit : Perqué no ? Perqué no ? Perqué no ? C’est comme çà qu’il a été rebaptisé, à son insu, « le Père Quénot » par les gens du quartier.

 

Aujourd’hui la quête du papier occupe toute sa vie. Les années passant et au fur et à mesure de ses explorations des quartiers de la capitale le Père Quénot a tracé sa propre Route du Papier, dans Paris.En réalité on devrait dire ses routes du papier car il a imaginé plusieurs itinéraires qu’il pratique selon son humeur ou le temps qu’il fait. Il y a la route du papier qui va de Montmartre au cimetière du Père Lachaise en passant par la gare du Nord et la gare de l’Est. Il la poursuit en général jusqu’à la gare d’Austerlitz en passant par la gare de Lyon il continue vers le cimetière du Montparnasse et va jusqu’à la gare du même nom puis remonte vers la gare Saint Lazare. Il serait plus juste d’appeler ça la route des gares ou même la route des cimetières. Il y a aussi la route des monuments qui passe par l’Opéra, la Madeleine, Notre Dame ou le Panthéon et aussi la route des copains. C’est celle qui passe par les boutiques des artisans, imprimeurs, coiffeurs et autres commerçants qui le connaissent bien et qui lui mettent de côté les chutes de papiers, les vieilles revues et certains cartons d’emballage.

 

Le Père Quénot a tissé sa toile dans Paris. Il parle maintenant parfaitement le français. Et si vous lui demandez comment il s’appelle il vous répondra avec un grand sourire et beaucoup de malice : Pourquoi pas ? Au fait, « Perqué no ? » (perche no) dans la langue natale du Père Quénot - l’italien - ca veut dire « Pourquoi pas ? ».

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